samedi 27 novembre 2010

...EN VRILLE SUR DES SOUVENIRS DE JEAN

N.B. ICI, JE NE RÉFLÉCHIS PAS SUR L'INCESTE, L'ABUS SEXUEL OU LA VIOLENCE, je raconte. Alors, lectrice, lecteur, si tu lis, tu entreras ici par la porte sombre et toute personnelle.
C'est une sorte d'aparté dans mon carnet!



♪♫ La chanson de circonstance ♪♫
Fais dodo Pinoche, ta mère est aux noces
Ton p’tit frère est allé chercher un morceau de pain
Gros comme la tête de ton p’tit chien
(ritournelle de mon enfance, en toutes lettres ici, apprise de ma mère)



Et ton père ?


Une petite moustache hitlérienne sous le nez. Comme tant de ces mâles de l’époque. Le Canada français en était farci comme on pouvait le voir sur des photos crispées et sans couleur. L’Église sous son Pie XII et le Québec sous tout ça adhéraient au fascisme en voie de déploiement, voire participait au racisme, à l’endroit, à l’envers et à l’encontre des juifs et mataient de plus belle, pour une dernière génération, ses enfants à élever et ses femmes  « matri-archontes »  - « marche à la maison, je t’y rejoindrai après la taverne » ou « j’ai besoin d’un scotch bien tassé ».

Pour mon père, c’était le scotch bien tassé et reclassé des gens d’affaires, et, quant à la moustache, la sienne, c’était une vraie imitation d’apparence prétentieuse. Il avait le poil blond et les yeux bleus aryens et son « sous le nez» n’était pas spacieux, car son nez prenait toute la place. La moustache n’était que quelques poils droits anonymes qui imitaient ce que je ne connaissais pas encore. Plus tard, lorsque la mode disparut et qu’il ne restât que Charlot pour la porter, je n’arrivais pas à me rappeler le moment où il l’avait fait disparaître. Je me demandais parfois : était-ce un faux souvenir que celui de sa moustache étrange ou n’était-ce qu’une « pinotte réduite en compote » comme j’aimais à me le raconter, la rendant presque invisible par ma toute-puissance d’enfant! Voilà ce que c’était dans ma tête de survivant ou presque, enfant qui tentait d’effacer la moustache et qui la regrettait tout autant!

- Mais, en vérité, en vérité… Faut passer aux aveux, maman !
- Pas tout de suite, mon petit homme !

Son caractère à la hitler n’avait en rien disparu lorsque disparut sa moustache de « pistache ». J’avoue ici que j’aimais aussi à penser « pistache » que j’ajoutais à la « compote de pinotte », cherchant par là à ne pas trop en dire qui aurait été insupportable aux adultes et dangereux pour ma survie. Je disais intérieurement « pisse tache » pour opposer l’hitler à sa compagne, ma mère, qui cherchait mordicus à m’insuffler une belle éducation à la propreté. Car elle était propre ma mère. Ma mère qui nettoyait tout au cure-oreilles. Et j’avais peine à appliquer ses injonctions, souillon et brouillon que j’étais.

Comprenez, je vous prie ! Pour elle, si quelque fois la mousse tache, la plupart du temps elle détache. Alors qu’au contraire, pour moi, la pisse tache avec certitude, à cause de sa couleur jaune prégnante et odorante en prime. Et la moustache de mon père était aussi colorée probablement par cette odeur qu’il avait. Alors, sa « moustache de pisse tache », vous voyez ! Et, absent si souvent même lorsqu’il était là, sa présence de fantôme imprégnait davantage notre vie que sa présence réelle. Il imprégnait, c’est tout. Sa « mousse tache de pisse tache », va ! C’est le fantôme du tyran, le tirant du tyran qui était toujours présent quoique tu fisses, ou que je fis comme fils. Vous comprenez pourquoi la question fondamentale consistait à le fuir, à le rendre inexistant. Je l’ai tant espéré. Je veux dire, inexistant.

Je ne vous laisse pas ici comprendre suffisamment qu’il était violent en gestes de taloches, de fessées, de brutalité. Le scotch n’arrivait pas à geler sa frustration et l’avivait plutôt comme un carburant à haut degré d’octane. J’espérais son inexistence mais ma mère le rappelait à ma mémoire à la moindre dérive de ma part ou pour des motifs qui m’étaient inconnus. Quand il était calme, presque mort comme une eau qui dort, présidant la tablée d’enfants, il racontait le plus simplement du monde qu’il ne connaissait pas la force de ses mains et poignets. « Au collège, racontait-il, il avait, de ses mains incontrôlables, attrapé par le collet un collègue importun et l’avait projeté sur la rangée de cases métalliques qui en avait été, les pauvres, toutes cabossées. » Les vis qu’il taraudait dans le bois cassaient par trop souvent malgré le savon dont il les recouvrait. Également. Et moi, cherchant à ne pas l’entendre, je mangeais, coincé sous la tablette de la radio, entre le mur et ma sœur T., à portée de son bras gauche et de sa main qui pouvait m’arracher la tête ou la dévisser à volonté.

Ma soeur aînée m’a raconté comment elle était terrorisée de la violence du tyran alors qu’enfante, elle ne savait rien faire pour me protéger de sa violence. Elle n’était touchée que par procuration. Le tyran s’en prenait aux garçons – Jean et mon frère Jacques plus tard – mais ne touchait pas aux filles sauf la plus jeune qu’il ne manqua en rien.

Ma mère, prenait un vilain plaisir à m’installer, les mauvais matins, à genoux, face au mur, entre la commode et le garde-robe, alors que le monstre derrière moi ronflait encore avant son réveil qui n’allait pas tarder…et qui tardait sans avoir à tarder…et qui allait lui permettre de me tarauder de sa juste fessée sans la moindre sensation pour ses mains. J’en serais dévissé. Et je le fus ! Je le fus. Je le fus. L’âme dévissée du corps !

Pourquoi la mère utilisait-elle cette menace du géniteur à mon endroit ? Voilà une jolie question ! D’autant, qu’à mon souvenir, cette manipulation n’était pas utilisée par Pauline pour ses filles. Non, pour ses filles, la manipulation consistait à leur transmettre la recette femelle pour mettre à sa main un monstre tel qu’apparaissait le Gérard. « Non, ce n’est pas le moment de parler de cela à ton papa, je te dirai quand ». Ou encore : « tu dois t’y prendre de telle ou telle autre façon, si tu veux obtenir ce que tu veux de ton papa.» «  Laisse-moi cela, fais-moi confiance, je vais lui en parler ». Voilà ce qu’elle disait aux fillettes. Et les filles virent sa supériorité de femelle, sa dominance sur le « mâle-monstre », le grand modèle  de contrôle qu’elle était!

Le grand modèle de contrôle : ne disait-elle pas qu’ « il n’y a pas de raison de pécher ; la tentation est là pour t’avertir et tu n’as alors qu’à l’éviter ». Sainte Marie, mère de Dieu, toujours vierge, priez pour nous pauvres pécheurs ! À la ligne !

Pour moi, l’approche était différente de celle qui prévalait pour « les petites filles ».. Elle utilisait plutôt le monstre sous son contrôle comme outil répresseur, frappeur, terreur de géniteur à n’importe quelle heure. C’était sa façon de montrer sa dominance sur moi, « petit homme » comme elle disait. Voyez donc la différence marquée ici dans le traitement des genres, mâle et femelle, et imaginez que le résultat personnel a été différent. Et, on comprend que la question fondamentale pour moi consistait, ainsi que je l’ai dit, à le fuir, à le rendre inexistant. Je l’ai tant espéré. Je veux dire, inexistant.

L’espoir de réussir devenait grand parfois comme la tentation d’une belle pomme accrochée à un arbre et entouré d’un serpent. C’était quand il était parti en corps et en odeur et que maman, la vierge, s’ennuyait dans ses purs attributs sans tache. Probablement.

…Sans tache et sans trace de mousse qui tache, pour elle ou de pisse qui tache, pour moi…ma pistache à moi, sa moustache à elle…Allons voir. Déballons !

À ma cinquième année, elle me nomme, déjà depuis un bon bout de temps, le petit homme de la maison.

Pour tromper son ennui, lorsque le tyran n’est pas là, je couche bien souvent avec elle pour la réchauffer. Le petit homme fait l’affaire quand l’homme d’affaires n’est pas là.

Et le scénario habituel…

Elle veut que je lui gratte les jambes, mais pas trop haut, juste assez haut, un petit peu plus haut mais pas trop, ..., oh!

Et le scénario habituel…

Mais, elle veut que je lui gratte les jambes, juste assez haut, comme c’est bon, un petit peu plus...oh! c’est trop, Jean.
Et le scénario inhabituel…

Mais, elle veut que je lui gratte les jambes, juste assez haut, comme c’est bon, un petit peu plus...oh! oh ! oh ! Jeeeeaaaan ! Qu’est-ce que tu fais ? Ça ni queue ni tête ça. (Allez voir, la queue devient la tête!)


Et un soir, plus que d’autres : épouvantable, inaccep­table, répréhensible, dévoyé, déviant, et.... va te coucher dans ton lit, espèce de… !

Bandé comme un coq de bataille. Exorbité. Affolé. Estomaqué.


Sans avoir pu toucher sa moustache douce, la moustache cachée, celle qui attache ton grelot, tu sais.


Le mien fut découpé et vola aux quatre vents.


Et ma belle pistache resta encapsulée dans sa coque raidie.

Je disparus. Aux limbes.

Tu n’as pas de mots pour dire. Tu ne sais même pas que tu existes. Quand tu essaies de dire, on te fait taire. Ça ne se dit pas. Ça n’existe pas. SILENCE, ON DÉTOURNE ! Pas plus que tu n’existes. SILENCE !
La mort. Presque la mort.


Fais dodo, Pinotte,
ta mère n’est pas à tes noces
et ton père est parti chercher un morceau de rien
Couche-toi dans le coin comme un p’tit-chien !
( retournelle du chemin d’adulte et défi que j’eus à relever; les deux fournis par ma maman!)



Une autre et la même chanson en déclamation. Celle-ci, ma mère la récitait tant que je l’appris par cœur ou par levée de coeur. Je devais, alors, avoir 10 ans.



C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

Athalie de Jean Racine, acte II, scène 5

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