vendredi 9 décembre 2011

MARJORIE EST DÉCÉDÉE. PAR SUICIDE.

Marjorie est décédée. Par suicide. Par manque d'espace pour vivre, l'intimidation dans l'école lui ayant enlevé son droit de « cité ».

L'école est en troisième place des milieux les plus violents de la société. Il y a la prison, la mafia puis vient l'école. Et l'école ressemble aux deux premières à bien des égards.

Dans la prison, il y a une loi, celle des autorités pénitentiaires qui est explicite, puis une seconde, à ras de confrérie, qui rassemble sous son égide tous les prisonniers. La seconde loi, celle des gardés, s'oppose à la première par principe, par état de situation et réussit assez souvent à gagner du prestige aux dépens de la première. Les gardiens de prison sont pris entre deux feux et leur survie leur vient de leur capacité de négocier avec deux visages, l'un pour l'administration, l'autre pour les leaders des prisonniers. Ils y réussissent, mais pas toujours. Ils sont la viande dans la sandwich.

Ainsi dans l'école. Il y a une loi, celle imposée par un certain nombre d'adultes et il y a celle des élèves, les gardés. La seconde, au fur et à mesure de la montée des hormones dans ces petiots grandissants, gagne en effervescence sur la première et s'établit dans le lieu dit. Tous les arguments sont utilisés par les élèves : résistance passive, bousculade, gossage quotidien, mots qui tuent l'enseignant ou le directeur, appel à la protection des parents, mépris public de l'adulte en autorité, mouvement collectif, agression des pairs, dérive menaçante par Facebook, taxage des confrères ou consoeurs sans armure, tentative de mise à feu d'une fille pour une histoire de pizza avant hier, etc. Une jungle non-civile dont les gardiens se disent assez souvent éberlués. Une jungle où les caids définissent souvent la loi.

Dans la mafia, voici une communauté qui a ses propres lois dont la suprême, «l' omerta », enveloppe toutes les autres et qui soude les membres du troupeau beaucoup mieux que le sang ne le ferait en y mêlant l'honneur et la crainte de la mort. C'est un groupe étanche dont on devient membre par des rituels de patte blanche pour les parrains tout-puissants et, sous commande explicite, de patte noire à l'égard des autres de la « cité » ou de troupeaux adverses. La caractéristique qui nous intéresse ici est celle qui fait que ces lois des mafias et les sanctions de justice qui y règnent appartiennent en propre à ces communautés. Autorité législative et pouvoir judiciaire sont amalgamés et sans rapport avec ceux de la « cité », l'initiation visant précisément le rejet de cette « cité ». Un vase clos.

Ainsi va l'école à certains égards. Les lois et le système de justice sont propres à l'école, amalgamés dans les mains d'une autorité, celle du corps enseignant et du dirigeant-e - et n'ont pratiquement pas de rapports avec ceux de la « cité ». Un vase clos.

Dans un autrefois qui trahit mon âge, les lois de l'école étaient établies en liens avec ceux de la société de privilèges et de droit dans laquelle j'étais destiné à vivre ma vie adulte. Certes, l'autorité était concentrée, super concentrée pourrions-nous dire puisqu'elle régnait en tous lieux de la « cité » et que la solidarité parents-école était sans faille, sans fausse note, unanime et ferme. L'enseignante régnait, la directrice était supérieure. Pas de mépris apparent, pas de tutoiement! Une unanimité régnait sur les enfants de l'école qui y grandissait aussi avec des hormones semblables probablement à celles d'aujourd'hui. Soumis.

Et cela n'a pas duré. Le bébé a été lessivé avec l'eau du bain. Et les fibres du tissu social se sont disjointes, détissés.

Aujourd'hui, je veux dire aussi hier soir, dans mon journal et à la tévé radio-canadienne, les politichiens comme ceux du PQ parlent d'enlever aux jeunes utilisateurs abusifs l'usage de leur compte Facebook; les psycho-éducateurs qui vivent au ras des pâquerets et pâquerettes parlent de leur ébahissement devant tant de violence physique, verbale, psychologique, relationnelle; les psy parlent des victimes à vie et des agresseurs comme des victimes aussi; les chercheurs parlent des hormones naturelles et des débordements à éduquer; les humoristes, gênés quelque peu de leur émotions, écrivent que les agresseurs sont des''losers''; les administrateurs questionnés parlent d'examiner soigneusement la situation et promettent de prendre des mesures appropriées; la ministre a des « semble que » à la bouche et se désole que les millions consacrés n'aient pas éradiqué les mauvaises herbes. Les citoyens, devant le fait de Marjorie et tant de paroles lancées à tout vent, sont interloqués mais pas encore assez retissés pour se mobiliser.

Pour ma part, j'étais estomaqué de n'entendre aucune référence au mot crime ou au mot droit chez tous ces 'jaseux'. Et on n'avait invité aucun juriste ou représentant de cette sorte aux groupe des commentateurs.

Une position simple, qu'on traitera de droite si l'on veut, est la mienne.

Je crois que la société de droit doit prévaloir en tous lieux de ma « cité ». Lorsqu'un crime est un crime dans ma société de droit, c'est aussi un crime dans la mafia, dans la prison ou dans l'école. Et dans ma société de droit, menacer l'intégrité physique ou la violer, menacer l'intégrité psychique personnelle ou la violer, menacer la réputation personnelle ou la violer constituent les crimes les plus graves et sont appelés tels : des crimes, des crimes contre les personnes. Et, dans l'intelligence traditionnelle de ma « cité », ces menaces doivent être réprimées sans quoi la vie en société n'est pas possible. C'est assez simple et, par toutatis, merci!

Dans la famille et de toutes façons dans « mon école » si cela n'est pas dans la famille, les enfants sont éduqués en fonction de cette société de droit dans laquelle ils vivront leur vie adulte. « Dans mon école », on accorde la priorité, avant tout autre apprentissage ou élément de programme. à apprendre à vivre sereinement avec soi-même et avec les autres. On appelle, éventuellement, crime ce qui est un crime dans la société de droit. Certes, on explicite les motifs qui ont amené une société évoluée comme la nôtre (!) à nommer crimes les gestes qui nous empêcheraient de vivre ensemble en paix. Par l'éducation, les enfants sont amenés à intégrer les valeurs fondamentales de ma « cité ». Et si les critères de jugement du ministère de l'éducation ou de quelques politiciens sur la ''performance'' de « mon école » oublient cette dimension, je deviens résistant à tous crins quitte à être seul dans mon « village gaulois »!

Pour être plus explicite, le système législatif et judiciaire de la société de droit sont introduits assez tôt dans « mon école ». Dès la maternelle ou la pré-maternelle, les conflits interpersonnels sont toujours objets de partage en groupe et entre les individus en cause. Les liens rompus par les agressions sont traités en vue d'une réparation et du rétablissement de la confiance et du respect mutuel entre les membres et l'ensemble du groupe. Peu à peu, les enfants selon le développement de leurs hormones et autres facultés, sont appelés à reconstruire la société démocratique de droit et participent à l'élaboration des règles de vie commune qui s'en inspirent et à un système de justice qui fait une large place à la réparation des liens malmenés ou rompus entre un offenseur, sa victime et la communauté. Une véritable démocratie, fondée sur une société de droit s'installe peu à peu dans la vie des enfants grandissants et, en secondaire 5, elles et ils sont devenus pratiquement des adultes aptes à fonctionner dans la « cité ». L'autorité sur ces sujets, on le voit, est graduellement transmise et d'enfants qu'ils étaient, ces êtres assument de plus en plus leur fonction de « citoyennes-citoyens ». Autorité intégrée se nomme autonomie ici et j'appelle cela liberté. Dans « mon école », être pleinement citoyenne-citoyen est plus important qu'être consommateur averti ou travailleur compétent ou …

Vivement que la société de droit entre dans l'école!

Ceci dit pour contribuer au développement des enfants de ma race!
 ce 2 décembre 2011

L'INTIMIDATION EN MILIEU SCOLAIRE- RÉACTION À LA POSITION DE LA SOCIÉTÉ DE CRIMINOLOGIE

Je suis ahuri par cet article de la Société de criminologie du Québec qui porte en titre : POUR ÉVITER DE TRANSFORMER LES ÉLÈVES EN CIBLES.  La trousse BRISE LE SILENCE qu'elle a préparée et qui s'adresse aux victimes et aux témoins m'apparaît irrecevable. C'est comme si l'on demandait à un quadraplégique de marcher ou à un mafioso de parler. J'aime à imaginer que la criminologie comprend que l'intimidé est l'enfant réduit au silence et que sa parole est plutôt rarissime. Sans quoi, il ne serait pas « intimidé ». J'ajoute : on a vu dans le passé des publicités dans les journaux pour inciter les analphabètes à s'inscrire à des cours d'alphabétisation; on a vu aussi  dans le passé des publicités pour inciter les enfants victimes d'inceste ou d'abus sexuel à dénoncer leur agresseur. Dans ces deux cas, il est apparu évident que les victimes sont davantage marginalisées, voire culpabilisées par ces actions mal ciblées. Je place l'article actuel publié dans le devoir du 10 décembre et la trousse BRISE LE SILENCE de la Société de Criminologie du Québec dans le même lot. Ils transforment davantage les élèves fragiles en cibles malgré sont titre « pieux ».

Je suis aussi ahuri car en aucun endroit cet article n'évoque le mot crime pour parler d'intimidation. Si la criminologie ne le fait pas, qui le fera? Les enfants doivent apprendre absolument que dans la société adulte - celle démocratique et dite de droit dans laquelle ils vivent comme enfants et vivront comme adultes - la menace à l'intégrité physique ou psychologique est considérée comme le pire crime qui soit, un crime contre la personne. On doit faire comprendre aux enfants et adolescents qu'il n'y aurait pas de société sans que la sécurité des citoyens soit assurée. C'est une notion fondamentale. La Société de criminologie, si elle veut s'impliquer adéquatement  doit faire la  promotion d'une école qui s'inscrit  dans une société démocratique, une société de droit!

Je suis ahuri car c'est une intervention pour demander que soit ajouté des ressources professionnelles, comme des criminologues, dans les écoles et que, pratiquement, il n'y a aucune interpellation des adultes de l'école avant la dixième ligne de la fin de l'article. Ahurissant! Les premiers qui dans l'école doivent briser le silence, ce sont les adultes qui y sont. S'il y en a parmi eux qui n'ont pas vu que, dans l'école, la violence et l'intimidation a cours, ils doivent être considérés comme des complices aveugles. S'il y en a d'autres qui ont vu et ne sont pas intervenus pour assurer la sécurité des intimidés, ils doivent se considérer comme des complices de la violence et modifier drastiquement leurs attitudes. L'école est un lieu de violence brute, je veux dire que la violence est à son état naturel au départ, car les enfants ne sont pas encore complètement civilisés quand ils y viennent.  Ils y viennent justement pour apprendre la culture civilisée de notre société. L'école est le lieu où les enfants rencontrent des adultes et sont accompagnés par ceux-ci pour devenir eux-mêmes des adultes civilisés. Tout plan ou programme scolaire visant la diminution de l'intimidation et de la violence passe en premier lieu par les adultes qui y sont. Ils doivent porter le message de la société démocratique et de la société de droit.

Je suis ahuri car il n'y a aucun geste éducatif de proposer dans cet article qui se veut une suite quelque peu pompeuse de conseils pour l'école. Pour celles et ceux qui réfléchissent un peu plus loin en termes criminologique de « justice réparatrice » ou d'éducation tout simplement, je me permets de rappeler que l'éducation dans ce domaine de l'intimidation passe par la "réparation" des gestes de violence posées par les enfants ou adolescents.  L'offenseur doit être appelé à réparer le geste d'intimidation qu'il a posé tant auprès de sa victime qu'auprès de l'ensemble du groupe, particulièrement le groupe qui en a été témoin. Ici, on doit comprendre et faire comprendre aux enfants et aux adolescents qu'un geste de violence blesse la victime et toute la communauté, car les liens de confiance nécessaires pour vivre ensemble ont été rompus. Ces liens doivent être restaurés et cette voie de réparation est d'autant plus évidente qu'il s'agit d'une école, un  lieu fait pour l'apprentissage.  La proposition que fait la Société de criminologie d'inciter les témoins de violence à marginaliser l'agresseur pour l'empêcher de récidiver est d'une grande pauvreté. Comme je trouve d'une grande pauvreté celles et ceux qui souhaitent qu'on n'oublie pas de traiter les agresseurs. Pour ma part, je demande simplement et prioritairement qu'on fasse de l'éducation avant de passer à la thérapie. Et éducation veut dire ici « réparation » d'erreurs, comme si souvent d'ailleurs. Et, à bien y penser, la plupart du temps en éducation.

Enfin, la prévention du taxage et de l'intimidation proposée par l'article de la Société de criminologie est une proposition qui sème la confusion. On utilise ce terme  populaire de prévention, en médecine ou en gestion sociale, mais il est particulièrement inadéquat pour parler de la violence qui a cours dans l'école. L'école est un milieu naturellement violent conçu pour civiliser les enfants. Cela ne se prévient pas. Les errements qui se manifestent dans l'école sont des opportunités d'éducation. Les enseignants doivent assumer cette responsabilité éducative au premier chef. 

Je suis déçu de cet article de  la Société de criminologie et j'ai la conviction qu'il ne reflète pas l'opinion de la majorité des professionnels qu'elle regroupe.

le 9 décembre 2011